Cette semaine, format exceptionnel avec un édito musclé, pour un hors-série bien fourni. Asseyez-vous confortablement, on va vous faire gagner des miles (zéro carbone).
L’édito de la semaine
Vous l’avez sûrement vue passer, cette vidéo où Michel Onfray est interviewé sur la chaîne du Crayon et qui a déchainé les passions indignées ou supportrices d’une ribambelle d’orfraies sur Insta, dont la somme des QI équivalait peu ou prou à l’addition d’un diner pour 2 chez O’Tacos.
Chez Les Courbes, ce ne sont pas tant ses propos sur la hiérarchisation de la culture qui nous ont interpellés. Déjà, parce qu’on a trouvé ça assez pauvre comme réflexion, dans le fond. Les Arts ont des ambitions et des fonctions différentes et il est donc malvenu de juger une oeuvre sans même contextualiser son intention. Le débat sur la hiérarchie de valeur ne saurait, de toute façon, se tenir sans définir le concept de valeur au préalable (en dehors de la question marchande), ni sans être pensé en quatre dimensions :
technique
intellectuelle (l’oeuvre donne-t-elle à raisonner et grandir)
esthétique ou émotionnelle (donc culturelle… donc subjective)
historique ou mémorielle (confer Lascaux, Pétra ou encore Guernica)
”Je suis moi-même collectionneur d’Art africain”, a bien déclaré Michel, pour arrondir les angles. En dehors du fait qu’on trouve ça un peu léger comme profession de foi, jouissance n’impliquant pas nécessairement considération (les relations humaines nous le rappellent souvent), c’est l’appellation “Art africain” qui nous a fait tiquer.
On ne va pas hurler au scandale : l’expression est consacrée et la sémantique est un champs qui connait des évolutions parfois assez lentes. Mais on trouve dommage qu’en 2023, on résume encore l’Art africain aux arts premiers, à savoir la sculpture sur bois. Alors, comme Les Courbes sont aussi là pour vous faire voyager, on s’est dit qu’on se devait de vous offrir un tour d’horizon des talents artistiques africains du moment. C’est du long-courrier, mais ne vous inquiétez pas : on a mis plein d’images et y’a pas d’enfant qui pleure.
Peinture
Si Chéri Samba, déjà exposé au MoMa et à Pompidou (excusez du peu), compte parmi les noms connus à l’international, il existe une ribambelle de peintres africains émergents qui gagnent à être découverts du grand public. À commencer par le Béninois Rafiy Okefolahan, qui mêle marc de café, rouille, huile et pigments bruts pour créer ses oeuvres. Puissant mélange de visages et de détails, ses compositions puisent une partie de leur inspiration dans le vaudou.
Kudzanai-Violet Hwami, elle, est une des étoiles montantes de l’Art contemporain, déjà exposée à la biennale de Venise. Née au Zimbabwe, son oeuvre est éminemment personnelle et traite principalement des relations humaines, des questions d’identité et de genre, ainsi que de l’exil. Un regard sur ses racines qu’on pourrait conjuguer à celui des enfants européens issus des diasporas africaines, comme celui de la britannique Ndidi Emefiele.
Musique
Si l’on parle souvent du Nigéria en raison des cartons internationaux de Burna Boy ou Tyla, Bongeziwe Mabandla, natif de Tsolo, nous rappelle lui que l’Afrique du Sud est sûrement le deuxième pourvoyeur le plus impressionnant de talents musicaux du continent. On pourra également citer Hunter Rose, l’hyper productif Muzi qui navigue entre les styles tel Okocha dans les défenses à son époque, ou encore Moonchild Sanelly, dont l’univers évoque parfois ceux de Nathy Peluso et Princess Nokia. On ne mentionnera pas ici l’émergence des scènes électroniques et rap au Maghreb et au Proche-Orient : on en garde un peu sous le coude.
Photo
Côté photo, on pense évidemment à la référence (et très engagée) Zanele Muholi, originaire de Durban et qu’on a pu observer à la MEP il y a tout juste un an. Travaillant elle aussi principalement sur la question de la représentation et des minorités de genre, ses oeuvres en noir et blanc ont quelque chose de frontal, d’affirmé (évidemment) et de terriblement authentique. Poignant.
Si l’artiste est désormais relativement “installée”, d’autres font peu à peu leur place. Thandiwe Muriu, étoile montante kenyane, est assurément l’un des talents à suivre sur les prochaines années. La dimension kaléidoscopique de la série Camo, qui l’a révélée, nous rappelle forcément un peu Hassan Hajjaj dans la forme.
L’artiste marocain n’est d’ailleurs plus le seul représentant national de sa discipline en vogue, puisque Mous Lamrabat, connu pour ses clichés mélangeant héritage culturel et symboles du consumérisme, a explosé ces dernières années. Plus confidentiel, Ilyes Griyeb creuse lui aussi son sillon, avec notamment des parutions chez Dazed et Vogue, mais aussi des collaborations avec Saint Laurent ou encore Jacquemus, le tout dans un style plus brut (mais ô combien délicat) que son concitoyen.
Mode
Enfin, venons-en à la mode… qui mériterait une news à part entière. Le Congo a gagné ses lettres de noblesses avec la créatrice Anifa Mvuemba, fondatrice d’Hanifa. La griffe, déjà connu outre-Atlantique, propose à la fois des robes de mariage très “haute couture” et des lignes beaucoup plus ludiques et colorées, dont les coupes sont pensées pour différentes morphologies.
Récemment, on a aussi pu voir Beyonce arborer (pour la 8ème fois déjà !) une création de Tongoro, qui signifie “Les étoiles” en songo. Fondée par Sarah Diouf, franco-sénégalaise, la marque joue avec les volumes comme peu savent le faire. Son approche essentiellement monochrome l’éloigne de certains clichés qu’on peut accoler à l’esthétique panafricaine, sans jamais l’empêcher d’être enthousiasmante, avec des motifs assumés à tendance organique.
On retrouve évidemment le Nigéria bien en place, avec les créations contrastées d’Adebayo Oke-Lawal, fondateur d’Orange Culture . Dans une approche novatrice et plus gender fluid, la marque mêle modèles masculins et féminins sur son eshop, au lieu de les séparer comme c’est habituellement la norme. On vous a d’ailleurs mis une cool interview de lui ici, afin de mieux comprendre le personnage, des fois que vous trouviez cette news trop brève.
Dotée d’un volet identitaire et d’un plus universaliste, la mode duelle de Thebe Magugu fascine et émerveille. Jouant souvent avec les équilibres au moyen de coupes fendues, ses créations font chavirer les yeux. La collection femme est d’ailleurs un bijou d’élégance et de simplicité. La marque a même proposé pendant quelques semaines une chemise incorporant des photos de ceux qui nous sont chers. Une démarche unique et sensible, à l’image de son créateur.
Allez, on s’arrête là pour notre petit roadtrip. On espère que celui-ci aura su démontrer la nécessité de changer notre sémantique vis-à-vis de l’Afrique.
Plutôt que de toujours la percevoir par un biais immobiliste, qui l’enferme dans une posture passéiste et coloniale dans nos représentations européo-centrées, il est grand temps de la concevoir et de la dessiner comme le continent en mouvement qu’elle est.
À présent, il est temps de vous laisser en compagnie de l’outfit de la semaine… avec notamment la découverte d’Ahluwali, un autre joyau de la mode anglo-africaine.
Bon week-end !
L’outfit de la semaine x Doudou
Alors que je vous écris, je peine encore à digérer la défaite du Sénégal à la Coupe d'Afrique des Nations face à la Côte d'Ivoire. Ironie du sort, je suis tombé sur cette collaboration entre la plateforme culturelle Air Afrique et Nike, portée par Didier Drogba, icône historique des Éléphants.

Côté esthétique, c’est nickel… mais comme vous le savez, j’ai tendance à éviter la marque à la virgule (je confesse que je risque quand même de craquer pour celui-ci). Pour le moment, j’ai donc décidé de me rabattre sur une marque plus responsable pour le t-shirt : Ahluwalia.
Le t-shirt
Ahluwalia fusionne des éléments de la culture londonienne et du double héritage indien et nigérian de sa fondatrice, Priye Ahluwalia. Vogue qualifie la griffe de championne de la promotion de la représentation et de l'inclusivité. La collection Automne/Hiver 2022, "De Nollywood à Bollywood", dépeignait par exemple des « représentations authentiques des personnes noires loin du regard européen ».


Au-delà de cette dimension, la marque se distingue aussi d’un point de vue environnemental. Elle explore le potentiel des vêtements vintage et des surplus en donnant une nouvelle vie aux matériaux existants, grâce à diverses techniques de textile et de patchwork. Elle a même poussé la démarche jusqu’à développer Circulate, un programme conçu pour donner une nouvelle vie à vos vêtements, qui viendront contribuer aux prochaines collections d’Ahluwalia.
Cette chemise tricotée Benoit arbore un imprimé géométrique. Fabriquée à partir de fils de velours et de coton éthiquement sourcé, elle me rappelle beaucoup un tissu traditionnel peulh, de couleur indigo, qu’on appelle Lépi. Mon coup de coeur, évidemment.
Le pantalon
Zizou, bien stylé avec son outfit “total black” lors de la dernière FW, m’a donné envie de plonger un peu plus dans le monde de Yohji Yamamoto, que j’ai connu à l’origine grâce à sa ligne pour Adidas, Y3. Je ne trouve pas vraiment les mots pour définir le talent de cet artiste… mais cette très courte vidéo explicite sa vision du vêtement, que je partage évidemment : « Clothing doesn’t lie »
Je pars donc sur un pantalon sarouel patchwork, réalisé à partir de deux types de denim noir 11 oz : l'un tissé avec des fils noirs x blancs et l'autre avec des fils noirs x noirs. Le motif, qui associe la beauté d'une silhouette élancée à l'amplitude de mouvement offerte par une coupe tridimensionnelle, est particulièrement soigné. Outre la combinaison de tissus en denim offrant différentes expressions, l'aspect usé et grunge obtenu par une coupe sur mesure est séduisant, car il permet de profiter de l'évolution du vêtement vers une expression plus profonde au fil du temps.


Les chaussures
Dans l’édito, on a voyagé du Maroc à l’Afrique du Sud, pas question donc de ne pas faire un outfit qui aille de la tête au pied. Ça fait un bon moment qu’on lorgne sur Viron chez Les Courbes, entité dont la particularité est de n’avoir recours qu’à du cuir vegan (soit à base de maïs, soit de pomme) et d’utiliser autant que possible des matériaux recyclés pour les autres parties de la chaussure. L’entreprise produit ses modèles dans des ateliers familiaux au Portugal. Elle est d’ailleurs labellisée B-Corp, et même si on connaît la musique avec les labels, Viron semble vraiment mériter le sien, avec des engagements environnementaux mais aussi sociétaux. Pas mal non ? C’est français.
La 1990 BLACK CORN m’a beaucoup plu. Le design “mule” avec ce système de languette à empiècement est certes osé, mais la sobriété du noir permettra de le marier sans problème avec le pantalon. D’ailleurs, la dimension patchwork de la paire permet un rappel du côté déstructuré du denim mais aussi du t-shirt.


Allez, on vous dit à dans deux semaines. Bon week-end !
Antoine, Doudou & Morgan
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