L’édito de la semaine
La revendication identitaire est d’époque. Si la poursuite de l’équité est souhaitable et la légitimité des luttes sociétales incontestable, on peut néanmoins questionner les fondements idéologiques de certaines approches aux relents essentialistes ou être parfois critique de leurs manifestations. Sur les réseaux, elles en épousent souvent les travers : slogans infantiles, formules paresseuses, argument d’autorité ou démonstrations faciles. La littérature ou le cinéma paraissent plus à mêmes de proposer des idéations complètes, qui permettent de se forger une opinion plus avertie. Edward Saïd, ç’a quand même une autre gueule qu’un reel de Louis Boyard.
Au rayon des maladresses formelles, on pense par exemple à Red (Christine & The Queens) et sa vidéo désormais “culte”. Pas question pour nous d’interroger son mal-être. Mais à la dramaturgie immature et égotique d’un artiste qui a fait de sa fluidité un levier marketing et s’insurge aujourd’hui d’être mégenré (comment savoir quel pronom lui donner si on ne le suit pas de près, franchement ?), on préfère le merveilleux Girl de Lukas Dhont pour porter la lumière sur les questions de la transidentité. Un bijou, Caméra d’Or à Cannes en 2018, dont on ne ressort pas indemne et qui renvoie les certitudes à leurs études.
Dans l’affirmation du je, le vêtement joue un rôle de premier plan. C’est un narratif visuel, qui illustre ou redéfinit. Oui, le vêtement est politique et peut agir comme un véritable soft-power.
D’un côté, hautement symbolique, il parle et revendique. Il porte avec lui un récit, une idée, une culture. C’est d’ailleurs ce qui le rend si délicat et complexe à adresser dans le débat public dès lors qu’il s’adosse à une identité, notamment religieuse.
A l’inverse, il sert en certaines occasions à brouiller les lignes ou même à réinventer certains territoires, en cas d’usage iconoclaste. Par exemple, celui de la masculinité. Virginie Despentes le disait d’ailleurs fort justement dans King Kong Théorie : on peut être homme et porter une jupe. Touko Laaksonen, dit Tom of Finland, a lui re-dessiné les contours de l’homosexualité masculine au moyen du vêtement dans les années 70. En popularisant une imagerie viriliste, faite d’hommes musclés et habillés de cuir (qui a notamment inspiré les Village People), il a contesté les clichés d’époque renvoyant systématiquement la communauté gay à un stéréotype d’hommes ultra-efféminés. Aujourd’hui encore, ces codes forment un pilier de la culture LGBTQIA+ et traduisent une appartenance à celle-ci.
La question subsidiaire pourrait-être : doit-on absolument s’affirmer ?
Certains argueront que les temps réclament une plus grande homogénéité et discrétion au bénéfice (supposé) de l’unité. D’autres, que le vêtement et l’expression de soi sont des libertés fondamentales qui ne devraient jamais être contestables ou interrogées, quel que soit le contexte.
L’entreprise n’échappe pas à ces débats. Détestable à bien des égards, se montrant souvent annihilante et d’un corporatisme abêtissant, elle est paradoxalement l’un des lieux qui offre le plus de latitude à la manifestation identitaire. Considérée comme un interstice privé, elle peut sur ce point être régie de façon autonome et indépendante.
Profitant de cet espace de liberté, Doudou s’est servi du vêtement pour exister de façon plus entière et nous propose cette semaine une alternative au sempiternel costume, auquel certains milieux prêtent encore un sacro-saint statut.
Alors, on attendra peut-être un peu avant de débouler en harnais de cuir au taff (gardez ça pour les soirées à la Station Gare des Mines, on s’y croisera peut-être un week-end)… mais osons, de ci et de là, suggérer nos identités via le vêtement et assoir que celles-ci sont mouvantes et plurielles, en nous déguisant à souhait.
Bon week-end !
L’outfit de la semaine x Doudou
Le Pull
En plein cœur de l'entreprise, au sein d'un département où le port du costume était incontournable, je me suis retrouvé confronté à un dilemme. L'idée de m'habiller conformément au code vestimentaire traditionnel du bureau, avec costume, chemise et cravate, me laissait perplexe : depuis l’enfance, j’ai toujours éprouvé le besoin de manifester ma créativité à travers mes vêtements.
Je me souviens d'avoir osé arborer au bureau des looks qui se démarquaient, comme un costume ample à la manière des créations de Lemaire ou une combinaison de cardigan coloré et de t-shirt. Une forme d’audace, relative certes, mais qui à sa façon, interrogeait le statut co. C'est à ce moment-là que je ne peux m'empêcher de penser à Thom Browne. Ses créations constituent une véritable déclaration d'individualité, une incarnation de la confiance en soi. La mode, c'est bien plus que des vêtements ; c'est un langage, une manière de raconter qui nous sommes.
Ses créations ont séduit des personnalités aussi diverses que Gucci Mane et Michelle Obama. Mais qu'est-ce qui explique cela ? Simplement, Thom Browne, à l'image de grands créateurs américains tels que Ralph Lauren et Calvin Klein, a su créer un langage stylistique qui lui est propre. Ses créations ne se contentent pas de suivre les tendances, elles les (re)définissent, à l'instar de Matthieu Blazy, qui a transformé le cuir en denim, en flanelle, en coton côtelé et en tricot.


Par exemple sur ce magnifique pull over à encolure ras-du-cou à manches raglan en laine Shetland tricotée en jersey, avec des finitions contrastées et un détail à rayures à quatre barres sur la manche gauche, le tout dans une nuance de bleu marine. Il est également doté de boutons sur les côtés et de poignets ornés de la signature bande de gros-grain rayée. Enfin, on retrouve l'emblématique languette en gros-grain rayé à l'arrière du col.


Le pantalon
Alessandro Sartori avait été le directeur de création de Zegna entre 2003 et 2011. Revenu aux affaires en 2016, il avait signé une collection post-Covid qui témoignait de l’importance grandissante du “confort” dans la mode masculine. Une ligne directrice sur laquelle le visionnaire n’a pas transigé lors de sa toute récente capsule Outdoor, quitte à s’émanciper des contraintes formelles classiques.
Un exemple concret de cette démarche ? Ce pantalon habillé : coupe oversize, couleur d’automne, composition en feutre de laine mélangée. Ample et doux (on retrouve du cachemire dans le tissu), ce bas de costume nouvelle génération propose des pinces affûtées à l'avant qui allongent la silhouette, pour un rendu dandy 3.0. Coup de coeur.



Les chaussures
A Londres, je me régale toujours du mélange unique entre musique et style. J'ai récemment découvert le mariage parfait de ces deux passions grâce à "The ACS Show," une émission de radio en ligne mensuelle animée par les talentueux Emmanuel Lawal et Ashton Gohil. Celle-ci sert de plateforme pour les créatifs évoluant dans le monde de l'art et des médias et prend vie dans l'enceinte de Soho House. Musique, conversations et éclats de rire se fondent harmonieusement dans un décor soigneusement agencé où l’on retrouve des bougies Byredo. La complicité évidente des deux animateurs ne gâche rien.
Lawal et Gohil, outre leur esthétique impeccable, sont de vrais chasseurs de perles qui m’ont fait découvrir cette paire de Vinnys aux couleurs audacieuses et festives. Le classique penny loafer Townee revisité, doté d'un bout en amande et d'une tige en cuir poli. Le mélange de cuir et de caoutchouc sur le talon en fait un modèle unique. Fabriqué à la main au Portugal, il est quasiment en rupture de stock, mais cela ne devrait pas vous inquiéter. Après tout, il existe toujours une alternative, et il n'y a rien de tel qu'une trouvaille d'occasion pour continuer à briller avec style.


Allez, on vous dit à la semaine prochaine. Bon week-end !
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